Molinéris, un peintre, témoin et acteur de son temps
Participation au livre: Molinéris, un peintre témoin et acteur de son temps
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Quand les montres exploseront et que le temps deviendra bleu on comprendra peut-être le cri atemporel que jean-Christophe Molinéris a voulu peindre sur des toiles sépia tachées d’ombre et de rébellion. Mais l’âme des hommes est sourde aux couleurs de l’espoir et grande la révolte de cet artiste rebelle, dissident d’un ordre trop établi pour être politiquement admis ou du moins admissible, je parle de cette intolérable indifférence que jean-Christophe Molinéris met en scène dans les pages d’histoire arrachées par l’esthétisme poignant des révoltés au cœur trop pur. Il en est un parmi si peu, hélas! Il est de ceux qui affichent leur cœur comme des étendards plantés dans ce grand pourrissement du monde donnant les fleurs que les poètes suspendent au bout de leurs songes.
Jean-Christophe Molinéris en a, d’utopiques, de beaux. Il les colle sur des toiles tendues aux allures de cartes du monde dont il dessine les universels contours de la liberté. Il déchire, colle, superpose des matériaux de rien, des bouts de bois cassés, du carton, de la colle, des morceaux de journaux, de photos ou d’ailleurs, quelques brins d’absence, des lambeaux de lumière, des extraits de vie, terribles, sans concession, des bribes de mémoire et quelques coups de rage, des éclats de rire ou plutôt d’ironie, quelques miettes d’insouciance et un fragment énorme d’impatience face au monde qui ne tourne vraiment pas comme il le faudrait.
Au centre, en léger décalage, figuration narrative et narrée d’un peintre qui s’affiche au devant de lui-même, de cette toile déchirée sur les blessures d’un présent qu’il panse en pensant, miroir d’une réflexion tournée vers cette peau du monde torturée de coups et d’injustices. Jean-Christophe Molinéris s’insurge ici maintenant. Sa révolte trace les limites de ce portrait fait a l’arraché d’une vie passée à revendiquer l’extrême urgence de dire et de montrer une réalité suppliciée par ses propres acteurs. Le peintre exprime cette conscience du monde, il se lâche, abandonne sa rage contre l’explosion de son incompréhension. Il peint des éclats de vie volant sous l’impulsion de ce cri pamphlétaire. II se révolte, se bat avec lui-même. Il conteste et s’affirme dans la démonstration hautement narrative d’un monde outragé par l’inhumanité de notre humanité.
Zoom avant, plus précisément, en descendant l’image, empreinte sépia d’un temps fondu dans le grand temps du monde, fragment présent de cet éternel non-fragmenté coulant vers l’avenir curieux de nos désillusions. Jean-Christophe Molinéris descend lentement vers cet œil étrange, focalisation extrême d’une désespérance aux couleurs de ce perpétuel cyclone qui traverse et ravage l’espace de notre devenir. Il colle des morceaux d’instants symboles de ces éternités qui ont marqué l’Histoire de ce combat de loups qui fait et défait les pages d’un livre que le peintre raconte en images fondues dans des ocres aux tons d’automne, apesanteur, mirages, feuilles envolées de ces insaisissables morceaux de vie posés dans Ie souvenir impalpable de notre passé. Il fixe ces indéfinissables soupirs que la vie pousse dans l’ordinaire de son quotidien, il grave dans des images reflet de son désespoir, ces petits bonheurs et ces grands malheurs qui font de l’homme l’imprévisible jouet de sa perversité. Il peint ce témoignage aigu et fort qui donne a l’oeuvre son engagement et sa particularité. Il ancre son Regard dans Ie grand océan de cet alchimique mélange de couleurs et de formes qui fait le remous de cette peinture mouvante comme le temps auquel elle appartient.
En descendant plus encore, on s’aperçoit que cet œil de cyclone, le regard du sujet peint, reflète l’insupportable pesanteur de l’être, qu’il fait éclater et rejaillir la force de sa souffrance par-dedans toute cette toile aux ombres gris coloré, bleutés ou vert d’eau. Jean-Christophe Molinéris pose les couleurs de cet étrange Tout dont on compte les jours en espérant meilleur. II dessine les rebords de cette goutte d’eau posée sur le rebord de ce puits sans fond où coule l’incertitude de notre devenir. Il montre ce qu’il voit un peu comme un photographe dont les couleurs serviraient de pixels. Il ne se cache pas, s’expose, c’est ce qui le rend présent, absolument.
On le taxe d’anarchiste, ce serait plutôt justice qu’il faudrait éprouver au mur de la fraternité. Il paraît violent et même offensif, furieux, excessif, brutal, il met « mal a l’aise » mais c’est de notre vie qu’il nous parle. Serait-ce de la violence que de ne pas accepter le mal et de le dénoncer ? Où se trouvent les limites entre toutes ces violences qui se côtoient et s’acharnent à détruire des idées reçues cousues d’illusions et de déceptions ? Où l’empreinte de l’homme s’efface-telle ? Où commence celle du peintre ? Où disparaissent ces perspectives qui ancrent la souffrance de l’homme dans une tradition plus que millénaire ? Peut-être dans ces trouées peintes sur des fonds bistres, bruns ou verts pôles, ces instants humains, ces drames que Jean-Christophe Molinéris sculpte dans un travail d’ombre et de lumière, confrontation terrible d’une perspective sans fin fuyant dans les
tourments de ces aplats fracturés pour ne pas dire ouverts sur la plaie de notre humanité.
C’est un univers haché, mâché, fragmenté, une explosion d’insurrection mêlée d’un esthétisme aigu, un naufrage terrible dans Ie grand champ du monde, une extirpation de soi à travers l’autre, de celui qui blesse le cœur des hommes et bien plus profondément celui de l’artiste. Jean-Christophe Molinéris a mal au bleu de cette vie qu’il fait jaillir sous cette terre d’ombre et de sable brûlé par la désillusion. Il dresse ce jaune soufre amer et sombre contre le bleu outremer, roi ou cobalt d’une vie qu’il réinvente meilleure. Il laisse couler l’espoir d’un avenir aux horizons bleus comme l’orange des poètes au cœur de rêves. Il s’intègre, se disperse, dans ces paroles de poudres, colle et bois. Il aime l’insolence, la revendique, la projette. Il peint tout cela avec, en plus, une touche d’humour tendre comme un jour sans peine. Il dégage cette humanité forte qui fait les hommes si grands derrière les barreaux de leurs petites fenêtres, les prisonniers d’une vie bien trop étroite pour eux. Sa peinture c’est tout ça… et tellement plus encore.
Marie Kern