Louis Michel, Jacques Chabot : sur les pas littéraires de Jean Giono

On les disait antagonistes, ils étaient pourtant si proches : Louis Michel, l’ami de Giono, le professeur au lycée de Manosque et Jacques Chabot, l’universitaire, grand spécialiste de la question gionienne, amoureux d’opéra et de musique baroque.

Louis Michel je l’avais rencontré lors d’une promenade à Manosque. C’était un bel après-midi d’été, je désirais connaître la ville de celui qui enchantait mon imaginaire avec son Serpent d’étoiles, Que ma joie demeure, Orion fleur de carottes, sa littérature de « jeunesse » était la référence de mon absolu à cette époque.

Louis Michel était au Paraïs, la maison de Jean Giono, il guidait les visiteurs à s’y retrouver dans cette belle demeure où le spectre de Giono flottait derrière chaque porte, chaque fenêtre, chaque brin de papier.

Son père ayant été l’ami fidèle de l’écrivain, Louis savait le monde gionien par cœur et même les coulisses! Il se faufilait derrière les anecdotes pour accrocher le public et lui laisser comme un arrière goût d’olive et de vraies richesses. Il racontait Giono avec des mots simples, des mots que tout le monde pouvait comprendre, il n’était pas sectaire et chacun pouvait y trouver son compte.

Me voyant jeune et si passionnée, Louis se prit au jeu. Il me parla de Giono, de ses voyages imaginaires, de ce bureau où l’écrivain s’asseyait tous les jours après ses deux heures de promenades quotidiennes. Giono était là, dans ses mots à lui.

Giono à son bureau

Jean Giono à son bureau

Et puis il prit le chapeau qui était accroché au mur, le chapeau de Jean Giono et il me le mit sur la tête ! Je n’en revenais pas ! Le chapeau de Jean Giono était sur ma tête… ma tête était comme dans cet imaginaire, dans ce monde si dense, si riche si fort aussi ! M’en souvenant cela me paraît incroyable, magique, comme si Louis Michel effectuait, par ce geste anodin, une sorte de transmission de pouvoirs, c’est comme ça que je l’imaginais, que je me l’imagine encore bien que je n’ai pas le talent littéraire de mon maître à penser il y a quelque chose qui nous unit, quelque chose de physique qui donne à penser que l’âme existe, indépendamment des paquets d’atomes et de chimie qui créent nos identités.

Deux ans passèrent, deux ans sans retourner à Manosque. Et puis un mémoire de maitrise mal dirigé, le désir d’étudier Giono à l’université d’Aix-en-Provence aussi me poussèrent à reprendre contact avec Louis Michel. On me donnait une chance mais je devais faire mes preuves c’est à dire présenter un travail d’entrée à l’université.

Sans réfléchir j’appelais Louis qui me reçut comme une princesse pour m’aider à réaliser ce travail tant désiré !

Il me proposa de travailler sur Le moulin de Pologne, nous étudiâmes ensemble les personnages et la critique de la société dans ce roman à la fois sévère et tellement ironique de Jean Giono. Louis m’aidait à comprendre tous les sous-entendus, il naviguait en haute mer, il voltigeait sans filet, Louis Michel était chez lui dans cette œuvre qu’il connaissait par cœur, comme le reste d’ailleurs.

En septembre je présentais mon mémoire à l’université qui m’accueillit bien volontiers. Je pus continuer mon DEA et il se déroula si bien que mon directeur de recherche, monsieur Not, me proposa de le poursuivre en doctorat. Cela grâce à Louis Michel sans qui les portes de l’université et même de la littérature me seraient restées fermées.

On comprendra logiquement mon attachement pour cet homme que je revis jusqu’à la fin de sa vie.

Jacques Chabot maintenant. C’est à l’université d’Aix-en-Provence que je l’ai rencontré. J’entamais mon DEA. Jacques Chabot intervenait pour des cours consacrés à la littérature et à l’art sur un thème donné. Il avait choisi le thème de Don Juan et ses cours furent un régal pour tous ses étudiants.

Jacques Chabot était un séducteur dans le sens du fascinant. Son savoir, son charisme et cette façon de parler, heureux de transmettre, le sourire aux lèvres, toujours, tout cela fascinait ses étudiants. Je n’ai jamais vu Jacques Chabot de mauvaise humeur, c’était un être amoureux de la vie et passionné par son métier. Aucun élève n’allait à ses cours en trainant les pieds. Au contraire, nous l’attendions tous avec impatience. Il arrivait, il donnait vie à tout ce qu’il contait, nous buvions ses paroles, tous, unanimement.

Nous étudiâmes cette année le mythe de Dom Juan, ça lui allait comme un gant ! à travers le théâtre, l’opéra et même le cinéma: Molière, Mozart, Leneau, Losey ou encore Fellini ! Nous étudiâmes par plaisir sans manquer un seul cours.

A la fin de l’année je décidais de garder contact avec ce professeur extraordinaire. Nous nous revîmes à quelques occasions notamment avec le cinéaste Jacques Mény qui consacra son œuvre à Giono. J’écrivais régulièrement à Jacques Chabot lui contant mon aventure littéraire, il me répondait toujours. Et puis un jour il quitta la scène, à peu près en même temps que Louis Michel. Deux hommes si importants dans ma vie qui s’opposèrent l’un à l’autre peut-être plus par principe que par véritable conviction, l’un défendant l’humanisme de Giono, l’autre sa « valeur » universitaire et par là-même la légitimité de son observation quasi médicale. Au bout du compte les deux hommes aimaient Giono un point c’est tout.

Le Giono de Louis Michel était l’ami véritable, c’était l’homme avec son histoire, ses aventures, ses maitresses aussi ! Et puis le Contadour, cette volonté farouche de vouloir changer le monde, de réunir les hommes de bonne volonté pour éviter la guerre et même l’idée saugrenue d’aller rencontrer Hitler dans un champ, neutre, pour lui demander de changer d’avis, pour le convaincre de ne pas faire la guerre !

Jean Giono au Contadour avec de jeunes pacifistes

Jean Giono au Contadour avec de jeunes pacifistes

Le Giono de Louis Michel c’était l’homme du quotidien et le génie mélangé, l’imaginaire débordant, la plume d’acier et l’ami des dimanches qu’il passait avec son père pendant que le petit Louis observait le grand homme dont toute la presse parlait, échanger avec son père, rire et n’être qu’un humain comme les autres alors qu’il était, auprès du grand public, une star de la littérature !

Celui de Jacques Chabot fut différent, enfin, en apparence. Il y avait d’abord un immense respect et puis le devoir de procéder à l’étude comme un scientifique procède à l’étude de l’atome ou d’un corps, selon sa spécialité. Jacques Chabot se devait de ne marquer aucun sentiment, d’être objectif, de disséquer l’œuvre de Giono comme un professeur de médecine. Il était formé pour cela, il devait transmettre cela.

Jacques Chabot n’abusa jamais de son pouvoir sur l’œuvre de Giono. Il n’en fit jamais un exutoire de ses propres fantasmes comme bon nombre d’autres professeurs le firent notamment durant la période de la mode freudienne où tout était passé au crible de la sexualité. Jacques Chabot était digne, il n’avait pas besoin de faire de la littérature une échappatoire aussi ridicule qu’insalubre. Ce qu’il étudiait c’était le texte par lui-même et il se plut à suivre l’invention du mythe gionien à travers une œuvre dense où l’imaginaire tint la place essentielle.

Jacques Chabot n’a jamais trahi Jean Giono, au contraire, il l’a porté au rang du mythe, un peu comme Dom Juan porta la séduction au rang de la poétique.

Les deux hommes ne se fréquentèrent que très peu. Louis Michel démissionna de l’association Giono quand les universitaires l’investirent et il se mit en guerre contre la suffisance qui émanait, principalement du président de l’époque, un parisien sévère et hautain, Pierre Citron.

Il cessa de faire visiter le Paraïs et d’accompagner les «pélerins» venus célébrer Giono lors des journées Giono qui se déroulent toujours en été.

Jacques Chabot fit quelques remarquables conférences mais l’ensemble des prestations devint élitiste et le public changea. On ne célébra plus Giono au Contadour mais dans une salle noire où seul le conférencier était éclairé.

Louis Michel ne le supporta pas, c’est comme si on lui volait ses souvenirs et son ami, le grand soleil, la montagne et l’herbe qui danse sous la voie lactée, tout fut séquestré dans une salle sans fenêtre et presque sans air.

Lors d’un hommage rendu aux deux hommes il y a deux ans, je fus une des premières à proposer d’écrire un texte célébrant la mémoire de ces deux grands personnages. On me rétorqua que ce n’était pas la peine, que tout était déjà prévu. Des gens qui n’avaient pas connu ou si mal Louis Michel écrivirent une page rapide en son « honneur » et personne ne lia la mémoire de ces deux hommes qui donnèrent de leur vie et de leur véritable amour à l’œuvre de Giono.

Aujourd’hui j’ai décidé de les réunir car personne ne peut décider du sort de la littérature. Louis Michel et Jacques Chabot ont participé, chacun à leur manière, à la vie de cette littérature. Comme une grande vague, elle a emporté leur mémoire et aujourd’hui elle revient à la surface comme je retrouve Giono pour repartir sur ses pistes imaginaires.

La littérature est fille de Liberté et pour cela je rends un immense hommage à ces deux êtres si chers à mon cœur et mon Histoire.

Pour saluer Louis Michel et Jacques Chabot, pour saluer Jean Giono, pour saluer les mots plus forts que la chimie ou la politique puisqu’ils ont le pouvoir eux et eux seuls, de changer le monde !

Mains de Jean Giono

Mains de Jean Giono

Marie Kern, 17 janvier 2017

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Marie Kern

Marie Kern - Blogueuse, auteur, accompagnement littéraire d'artistes (peintres ...), rédactrice web (article, contenu rédactionnel, ré-écriture de pages web).

2 Comments

  1. Deux hommes Louis Michel et Jacques Chabot ont su transmettre la puissance de leur enseignement, de leur vérité, de leur amitié aussi comme des pères pour guider tes pas Marie.
    Le chemin est là, éclairé par ce partage. Après le vent, la tempête, Jean Giono reprends vie. Il t’insuffle la lumière, une Nature sauvage, belle et pure qui renait en ce printemps précoce. En sa compagnie, te voici de retour dans ce pays de rencontres et de possibles qui nous rapproche de nos espérances.
    Merci de nous avoir fait découvrir et partager le départ d’un tel voyage.

  2. Merci pour ce très bel hommage. Je n’ai pas eu le plaisir de connaître Louis Michel mais j’ai eu Jacques Chabot comme professeur à l’université d’Aix en Provence dans les années 1970. J’ai même encore en ma possession des copies annotées de sa main. Il faisait cette année-la, en licence, un très beau cours sur Marcel Proust qui fut pour moi une révélation. C’est même grâce à lui que j’ai continué en maîtrise par un mémoire sur l’esthétique proustienne corrigé par Daniele Sallenave, aujourd’hui membre de l’Académie française.
    Mémoire bien inspiré par les cours de M. Chabot. Je me souviens en particulier d’un petit mémoire d’une vingtaine de pages sur L’instance du désir chez Marcel Proust qu’il avait très bien noté et commenté.
    Souvenirs de temps heureux… mais sans nostalgie car ils ont semé des graines dans toute ma carrière de professeur de Lettres et encore aujourd’hui où je me passionne pour… Jean Giono et l’étrange fable metaphysique qu’est Un Roi sans divertissement.
    Décidément, la boucle est bouclée.
    Encore merci pour avoir initié ce bel hommage.

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