La campagne électorale selon Emile Zola
Comme nous sommes à la veille de la grande course à la présidentielle, j’ai trouvé intéressant de mettre à l’honneur un texte datant de 1881 – Le suffrage universel – un acte journalistique d’Emile Zola, une sorte de traité de la bêtise humaine, d’une étonnante modernité.
Le texte étant un peu long, j’ai choisi d’en évoquer les passages les plus révélateurs. Les curieux pourront retrouver le texte en entier dans la compilation dirigée par Adeline Wrona, Zola journaliste : articles et chroniques[1]
« Nous voici en pleine période électorale, et la grande comédie moderne recommence une fois encore. Molière, aujourd’hui, étudierait là les appétits et la sottise des hommes. C’est un rut universel, c’est un étalage de toutes les médiocrités, c’est la bête humaine lâchée avec ses vanités et ses misères. Au XXème, le résultat pourra être superbe ; mais, à cette heure, la cuisine en est des moins ragoûtantes. »
Excepté l’espoir d’une politique meilleure, Zola est en tous points conforme à ce que nous vivons : médiocrité, rut universel, cuisine ragoûtante.
Il serait trop long de vouloir citer toutes les médiocrités dont nos hommes politiques sont capables. On se souvient de l’affaire Bygmalion, de l’argent lybien de Sarkozy, de l’anaphore célèbre de notre président Hollande, de toutes ces bassesses dont ils sont capables pour appâter l’électeur avec des campagnes ahurissantes, pour le rouler dans la farine verbale, financière, illusoire et se servir de son vote comme d’une assurance vie dont les avantages fiscaux défient toute concurrence. On peut parler de rut universel tant l’hystérie générée par ce moment est immense !
Et Zola de continuer :
« J’ai ri, dans mon coin, du soulèvement des hommes politiques et de la presse, quand on leur a signifié qu’ils auraient seulement trois pauvres petites semaines d’agitation électorale. (…) Pensez donc ! rien que trois semaines à écrire des professions de foi imbéciles et incorrectes, à endoctriner de pauvres diables qui se vendent pour un verre de vin, à emplir la presse d’un tas effroyable de prose dont on ne pourra même pas faire du fumier (…). »
Effectivement, toute cette prose – dont nos hommes politiques nous ont toujours couverts et dont ils vont nous couvrir de nouveau via un journalisme à la botte du plus offrant – ne servira même pas à faire du fumier tant sa nullité et son inconvenance, sa puanteur et sa débilité est grande.
Et Zola d’évoquer le principe du suffrage universel qui semble équitable mais qui ne l’est pas du tout quand on sait qu’une grande part des citoyens n’est pas informée voire peu éduquée (l’inculture est une arme, celle des mécréants). Cette grande part se laisse séduire par les boniments les plus fabuleux et leurs votes ne sont que des actes de procuration.
« Avec la masse considérable de nos électeurs illettrés, avec les honteux trafics sur la coquinerie des uns et la bêtise des autres, on ne peut savoir ce qui sortira du scrutin. (…) En un mot, le principe superbe de la souveraineté du peuple disparaît, il ne reste que la cuisine malpropre d’un tas de gaillards qui se servent du suffrage universel pour se partager le pays, comme on se sert d’un couteau pour découper un poulet. (…)
Il s’agit pour chacun de conquérir l’électeur, de l’amener à ses idées, de lui brouiller la cervelle au point de lui arracher son vote. »
La modernité du texte de Zola est stupéfiante ! Que dirait-il de nos représentants politiques aujourd’hui ? La même chose sans doute, exactement la même chose, avec l’amer constat qu’aucun changement ne s’est produit, au contraire, c’est encore pire!
« Ah ! je la hais cette politique ! je la hais pour le tapage vide dont elle nous assourdit, et pour les petits hommes qu’elle nous impose ! (…)
Pantins d’un jour, illustres inconnus retombant dans le néant, plats ambitieux venant faire le jeu du plus fort et se contentant d’un os à ronger, cerveaux malades rêvant de venger leurs continuels échecs, tous les appétits déréglés et toutes les sottises lâchées ! (…)
Non, la France est ailleurs, elle n’est pas avec la vermine qui la dévore, elle est avec ceux de ses enfants qui pensent et qui travaillent. »
Le texte a près de 150 ans et il parle précisément de notre société. Les mots de Zola n’ont pas pris une ride parce que l’humain reste l’humain, avide et pervers dans son désir de conquête.
Et nous allons avoir droit, très prochainement, à cette débâcle de bouffonnerie où les margotins vont pirouetter sans laisser aucune trace de bon sens ou de sincérité.
Fort heureusement les bureaux de vote se vident car la France de ceux qui « pensent et qui travaillent » se lasse des voltiges en plein air de l’absurdité.
Marie KERN, le 24 septembre 2016
[1] GF Flammarion, janvier 2011
Belle idée de faire référence à ce texte, assez peu connu de ZOLA, et tellement d’actualité, il devrait faire réfléchir un peu ceux qui votent encore, même s’ils sont moins nombreux à chaque élection et c’est tant mieux ! Effectivement ce texte n’a pas pris une ride, c’est magnifique pour son auteur, et fort inquiétant pour la classe politique actuelle, toujours hors-sol comme à l’époque de Zola. Enfin cela donne un argument de plus à ceux qui, comme moi, pense qu’il vaut mieux consacrer encore un peu plus de temps à la littérature, poésie, peinture ou cinéma qu’à la politique… Dan