Karen Coughlin ou la magie de l’instant
Karen Coughlin est une peintre, photographe, une artiste aussi merveilleuse que discrète. Cachée derrière une œuvre dont l’esthétisme ne peut laisser indifférent, Karen met en scène le simple, le quotidien, l’instant, un peu comme une magicienne qui enchanterait l’insignifiant parce qu’elle le regarde, tout simplement, qu’elle le délimite et qu’à travers ce regard, une histoire apparaît, une forme d’histoire dont elle seule a la clef.
Karen peint des façades, des bouts de détails, des portraits épurés, comme des esquisses, sans appuyer, elle frôle, délave, orne des toiles aux tons pastels, clairs, des toiles légères comme des pas d’oiseaux, des empreintes du réel, des envers du décor qui semblent des endroits, perdus, retrouvés, comme des madeleines de Proust, l’arrière-bouche d’un vin capiteux, cette indicible impression de connaître, d’avoir vu, de savoir ce que raconte Karen.
Il y a de l’Alice chez l’artiste. Elle nous mène en son pays des merveilles… un pays qui n’existe pas, son pays à elle. Un pays dessiné par l’intention artistique. En effet, qu’elle choisisse la toile ou l’objectif, Karen fait toujours œuvre de peintre. Toutes ses scènes sont définies, calculées, orchestrées, mises en scène. Agrémentant son œuvre de quelques mots, elle offre un bout de théâtre sur des tréteaux de toile ou de réel c’est à dire de monde qui l’entoure et qu’elle réorganise à sa manière, sans y toucher, juste en choisissant son point de vue et son point de fuite.
Dans Nous y voilà par exemple, l’artiste se place en fond, comme dans une salle d’où elle photographie la scène – le cours d’eau et la forêt sombre – et puis s’ouvre une perspective, claire, lumineuse, comme un nouveau jour qui se lève. L’image est organisée en différents plans. Nous y voilà! Effectivement à ce moment précis, l’obscurité cède à la lumière !
Car la marque de Karen, c’est l’indicible, le mystère, le beau, le simple, le subtile, l’espoir aussi ! Tous ses sujets ont cette multiple marque, du mystère, du simple, du beau. On pourrait presque dire que Karen œuvre en « haïku ». Observons quelques exemples:
Sortant de mes rêves
le coassement lointain
des grenouilles vertes
yumesamete
kiku wa kawazu no
tone kana
Ryokan
Pluie de pétales -
on aimerait boire l’eau
des brumes lointaines!
hana chiru ya
nomitaki mizu o
togasumi
Issa
L’union de l’image et du haïku fonctionne à merveille car les deux formes artistique opèrent de la même manière : simplicité, intensité, mystère.
L’artiste porte en elle le mot, le geste, l’image.
Pour faire le portrait de Karen il faut non pas peindre une cage, non pas effacer les barreaux, Karen n’est pas un inventaire à la Prévert même si les deux poètes ont des univers proches et similaires ; pour faire le portrait de Karen il faut poser quelques mots et laisser beaucoup d’espace, il faut un haïku un peu comme celui de Ryokan :
Le voleur,
N’a oublié qu’une chose
La lune à la fenêtre
nusubito ni
tori nokosareshi
mado no tsuki
Karen c’est cette lune à la fenêtre, ce qui reste lorsque le superflu a disparu, c’est à dire l’essentiel, le beau, le juste, le vrai.
Marie Kern, 1 er janvier 2016