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Informer n’est pas un délit : ma réponse à ce témoignage de journalistes sur la difficulté d’informer
Informer n’est pas un délit est à coup sûr un livre qu’il faut lire ne serait-ce que pour se rendre compte à quel point le monde actuel se recroqueville sur les contrefaçons d’une politique névrosée par la financiarisation et l’égocentrisme. L’acte journalistique en témoigne comme il témoigne également d’une réelle volonté d’orchestrer un monde élitiste très éloigné du bien public et démocratique, un monde protégé par la censure et très souvent aussi par la magistrature.
Mon texte n’a pas pour objet de répéter ce qui a été bien dit, bien expliqué. Toutes ces manigances politiques, économiques, juridiques dont les journalistes ont été tour à tour témoins et victimes, tout cela est fort bien expliqué dans ce livre je n’y reviendrai pas.
En revanche ce que ne dit pas ce document et ce n’est d’ailleurs pas son objet, c’est que si l’information est censurée, si elle frôle le « délit » dans certaines circonstances car la vérité n’est jamais bonne à entendre pour ces mafiosos légalisés par la loi, c’est qu’elle est supposée mettre en péril un ordre voir un pouvoir or elle ne le fait pas, pourquoi ? Pour quelles raisons les révélations tombent en cascade autour des hommes politiques et des patrons de grosses boîtes et pour quelles raisons le système est toujours le même ? Pour quelles raisons les têtes d’affiche, des escrocs notoires dans la plupart des cas, se présentent encore lors des élections et, comble d’ironie, sont encore élus !!! La réponse est simple, rien ne bouge car finalement, et il faut bien se l’avouer, mis à part une toute petite minorité d’individus concernés par l’information, la grande majorité des citoyens « n’en a plus rien à foutre » si je puis m’exprimer ainsi. L’imprégnation publicitaire, le raz le bol, la séduction populiste ou encore l’absolu manque d’éducation font du citoyen français un être souvent blasé, parfois haineux, en tous cas imperméable aux révélations journalistiques ou tout au moins inadapté à répondre par la réflexion et l’action tout simplement parce que ni l’éducation ni la culture ne lui sont désormais accessibles.
Comment les Français s’informent-ils ?
En premier lieu vient la télévision ! La grande majorité des Français s’informent par la télévision c’est à dire qu’ils s’informent à travers une réalité virtuelle, un double écran, celui de la TV et celui de la censure. Il est évident que le 20H de TF1 fait plus d’audience que le sommaire de Médiapart, c’est le moment du repas, on suit les informations comme on suit la messe, c’est pain béni, personne ne bronchera, s’ensuit Nos chers voisins, des tartines de publicité, Canteloup, re tartine de publicité et puis le film miraculeux qui fera oublier le peu de désinformations que l’on a reçues, une fiction de plus puisque tout est relégué au même titre de fiction, c’est la perversité de l’écran, c’est vrai et faux en même temps, la guerre au 20H, la guerre dans le film, où est le vrai, finalement ?
Quelques rares émissions viennent ponctuer cette marmelade d’informations. Pas plus tard que cette semaine Cash Investigation a relayé une information pertinente sur l’influence du marketing sur la vie quotidienne du citoyen lambda, coïncidence lors des passages les plus intéressants l’émission a été coupée de ce fait l’information n’a pu être entendue de manière totale.
Ensuite il y a les vidéos relatives à des sujets précis. Elles ne doivent pas dépasser 2 minutes sinon personne ne les regarde. Il faut du bref, de l’intensif, du rapide, du cérébralement direct c’est à dire une vidéo qui montre en 30 secondes c’est parfait ! une « vérité » accessible à tous. L’image, le bruit et l’impact émotionnel prime sur le contenu explicatif, cela veut dire que l’information est particulièrement réduite dans ce cas. Elle peut aussi être tronquée ou détournée pour faire de l’audience, c’est alors une désinformation qui a les apparences d’une vraie information mais séparer le vrai du faux pour quelqu’un de non initié relève de l’impossible.
Enfin il y a les journaux écrits, les moins fréquentés. Ils concernent la plus petite partie d’une population qui elle sera bien informée car elle complète en général sa lecture du journal par la lecture d’ouvrages visant à approfondir un sujet qui l’a interpelée.
En conclusion l’information étant très mal reçue, elle ne risque guère d’être un délit. Pour nous en persuader nous allons voir quelles sont les conséquences réelles de l’information.
Quelles sont les conséquences de l’information ?
Les réactions sont diverses mais les plus récurrentes sont le « je m’en foutisme » et la haine. Pour comprendre l’impact réel de l’information il faut regarder les commentaires des gens sur les réseaux sociaux. D’abord il y a ceux qui s’en fichent et ne commentent pas, leur vie leur suffit. Ensuite il y a tous ceux qui déversent leur haine voir parfois leur débilité à l’occasion d’une information souvent mal comprise, une information qui a pour effet de cristalliser les conflits ethniques, les jalousies, les haines, les mal être et les désillusions personnelles autour d’un fait que les gens commentent à l’aide d’images grotesques, de mots haineux, de signes parfois puisque de mots et de syntaxe il n’y en a même plus.
En allant plus loin dans le raisonnement on s’aperçoit que cette réception de l’information génère le plus souvent la radicalisation c’est à dire un désengagement social au profit d’une idéologie dominante qui ne mettra pas le pouvoir en péril mais finalement le renforcera en ce qu’il crée la division et par là-même la facilitation du pouvoir de diriger.
Une autre réaction, toujours dans la même lignée, est la violence et l’insulte. On insulte ceux qui « ont fait ça » sans analyse mais cela ne va plus loin, on en reste à l’insulte et après on retourne boire le café avec les collègues le cœur léger d’avoir laissé sa petite insulte personnelle à un de ces mécréants pour qui on revotera de toute façon « il n’y a pas le choix », « ils sont tous les mêmes » et « du pire je prends le moins ».
Ce que je cite dans ce texte représente les faits réels, je pourrais d’ailleurs citer de nombreux exemples mais ce texte deviendrait une analyse sociologique sur la réception des informations et sur sa conséquence et ce n’est pas l’objet d’un texte destiné à un simple blog. En revanche si certains journalistes veulent se pencher sur la question, je pense que c’est une excellente base de recherche.
Pour continuer et terminer ce bref constat des conséquences de l’information je dirais que la plus petite partie de la population lisant et pensant, réfléchissant, n’agit pas plus que les autres. Peut-être seulement a-t-elle plus de responsabilité personnelle ce qui n’est pas le cas dans les premiers cas cités. Mais l’action appartient aux « illuminés », aux utopistes qui croient encore que l’agir est possible, cela représente peut-être 10 % de la population ce qui reste insignifiant du point de vue démocratique.
En somme l’information ne sera jamais un délit puisque cet outil prodigieux qui doit servir la démocratie, très peu de personnes ont appris à s’en servir.
Peut-être faudrait-il penser éducation et langage avant de penser information. A ce moment-là l’information serait un véritable délit et la magistrature sévirait réellement pour que les journalistes soient condamnés à de lourdes peines. Mais tant que le peuple sera incapable de comprendre ce qu’information signifie la justice ne sera présente que pour interpréter le personnage de Grand Méchant loup rassuré toutefois par la crédulité et la débilité des hommes.
Marie Kern, 11 octobre 2015