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De la littérature de jeunesse actuelle : pamphlet contre une société parfaitement désenchantée
Pour Sara, morte à 15 ans par désenchantement
De la littérature enfantine d’avant et d’aujourd’hui
Le constat est affligeant. Il y a quelques années Saint-Exupéry, Jean Giono, Jacques Prévert, Raymond Queneau et tant autres écrivaient pour la jeunesse. Ces écrivains immenses n’accablaient pas leur littérature de cette manie lilliputienne de tout vouloir rabaisser parce que le public est enfant. Bien au contraire, ils chaussaient leur plume de sept lieux pour avancer à pas de géant vers les rêves d’enfants épris de noblesse et de beauté sacrée. Car la littérature est sacrée, comme la beauté d’ailleurs, cette beauté qui n’est plus intégrée aujourd’hui comme une valeur. Je m’inspire ici des paroles de Pierre Rabhi qui, à l’instar de nombreux intellectuels, déplore la perte du sens poétique de la vie.
Pourtant la littérature a su donner de grands textes pour les enfants. Je pense à L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono, au Petit Prince de Saint-Exupéry, aux contes du Chat Perché de Marcel Aymé, aux romans de George Sand, aux poésies de Jacques Prévert, Michel Butor, Raymond Queneau… tant de textes merveilleux qui donnaient au répertoire enfantin la force de cette grande littérature qui construit les hommes et les Destins tout en préservant la magie et l’extrême beauté de cette graine fabuleuse nommée enfance.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
De quoi traite la littérature de jeunesse aujourd’hui ? Des problèmes des adultes à savoir le sexe, la mort, le viol, le suicide, le divorce, le racisme, l’immigration ou encore l’homosexualité, le tout dans un style littéraire bas de gamme, sans effort langagier, sans recherche de vocabulaire, un style parlé médiocre qui n’a pas vertu d’élever mais bel et bien de rabaisser. Autrement dit cette « littérature » est un rapt voire un viol de l’enfance et de toutes les capacités que celle-ci peut mettre en oeuvre pour créer de futurs adultes responsables.
Citons pêle-mêle Mon frère ma princesse de Catherine Zambon, sur l’homosexualité ; La révolte des couleurs de Sylvie Bahuchet, sur le racisme ; Oursmok de Sylvain Levy où des enfants de 5 ème se jouent la comédie du mariage, du divorce, du suicide le tout dans un style langagier parfaitement déconcertant :
Léa : Je vous salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec vous et vous êtes bénie (…) Amen. Pierre, deux et demi. Pierre, petit hypocrite, que Dieu tout-puissant te fasse miséricordieux (…) T’as peur, je suis sûre que t’as peur (…) Pierrot ! Pierrot ! Pierrot ! Oh comme c’est beau un homme qui pleure. Tu me fais honte. Au lieu de pleurer, fais quelque chose. Retiens-moi. Dis moi que tu m’aimes.
(Léa va pour se défenestrer… pour de rire !)
On pourra aisément s’apercevoir que ce texte n’est pas adapté à des enfants de 5ème. Que c’est de la très mauvaise littérature voire de la « minablerie » éditée hélas! aux éditions théâtrales jeunesse.
Et comme cela toute une littérature qui ne s’adresse pas à l’enfant mais plutôt à l’adulte qu’il est sensé devenir ou que l’on veut qu’il devienne c’est à dire un futur consommateur déconnecté de sa propre identité et soumis à la médiatisation ambiante et débilitante.
Ainsi la littérature de jeunesse affirme son incompétence éducative et formatrice.
De la place de l’enchantement dans la littérature de jeunesse : re poétiser la société ?
Par enchantement que faut-il entendre ? L’enchantement correspond globalement à ce que je pourrais nommer la poétisation de la vie. Sans poésie la société devient anxiogène. La société et non la vie. La vie par elle-même est une source d’émerveillement. De la société que l’on habite dépend la manière de voir la vie. La société moderne et en particulier l’ultra-libéralisme ont mené nos sociétés vers un désenchantement tel que même le sens de sa propre vie a disparu. On abrutit les gens dés la petite enfance en remplaçant l’émerveillement naturel par des images artificielles publicitaires qui n’ont plus rien à voir avec le sens du vivant.
Des poètes, des philosophes, des linguistes s’interrogent. Un des ouvrages de référence à ce sujet est celui du linguiste Alain Bentolila, Comment sommes-nous devenus si cons ? Et celui-ci d’étudier précisément les médias, l’abêtissement des gens, le désastre éducatif.
La littérature de jeunesse n’échappe pas à ce courant, nous venons de le constater. Les politiques éditoriales s’orientent vers le médiocre, le nivellement par le bas, l’abandon des valeurs, du style, de la richesse langagière, au profit d’une littérature du naufrage, radeau de la Méduse s’il en est, Titanic de l’intelligence !
Concrètement cela donne des millions de jeunes sans espoir, en échec permanent.
En s’alignant sur l’indigence la plus extrême, la littérature et par là-même l’éducation, créent les dérives bien connues de l’obscurantisme et de la crétinisation, parfois le suicide de jeunes désespérés, la haine, la violence, la pornographie, l’acte vide de sens et d’objectif, vide d’affect et de beauté. Quelques rares chanceux bénéficient d’un entourage favorable compensant la pauvreté du système. D’autres, moins chanceux, s’inventent des paradis artificiels faits de drogues, d’alcool, de haine, de sexe, de mascarade sociale et faussement religieuse.
Parce qu’il faut bien se rendre compte qu’aborder les problématiques d’adultes avec des enfants de 5 à 10 ans peut se comparer à un profanation éducative et psychologique. C’est une défloration cruelle de l’imaginaire, un rapt du merveilleux formateur d’adultes équilibrés et heureux. On est dans l’abjection et non dans l’éducation quand on parle à des enfants de Grande Section de maternelle de sexe, de violence, de racisme (qui n’a aucun sens pour eux, le racisme étant une création d’adultes purement politique), d’homosexualité, d’exclusion… C’est Fahrenheit 451, on brûle l’intelligence, on brûle la lecture, on brûle le langage et ainsi la capacité de créer des individus responsables capables de comprendre et d’être compris, capables aussi d’avoir des rêves et puis des objectifs devant et grâce au spectacle incroyable que nous donne, à chaque seconde qui passe, la vie.
Considérons donc la littérature de jeunesse actuelle comme une arme de destruction massive qui mène à l’ignorance et à l’insignifiance. Elle enfante des monstres déshumanisés et contribue à faire des enfants des sous-produits de consommation et non des êtres pensants sains de corps et d’esprit. Elle verse dans le prosélytisme de l’imbécillité tout en aidant à répandre l’idéologie du bien pensant et du politiquement correct. Que ferait-on sans le racisme et l’homosexualité aujourd’hui? Il faudrait penser à autre chose, à l’essentiel, à nos qualités de vie et d’existence, à des thématiques nobles et dangereuses pour cette volonté d’asservissement généralisé.
Alors, peut-on espérer un sursaut d’orgueil? Sans doute, en tous cas nous le souhaitons. Mais ce sursaut sera poétique ou ne sera pas. Certains auteurs s’y attellent déjà, ce n’est pas la majorité.
Il faut changer le monde par la poésie comme le dit Pierre Rabhi, il faut ré insuffler de l’émerveillement à la littérature de jeunesse et au monde en général, c’est à cette seule condition que la vie pourra reprendre ses droits sur ceux de la politique et de l’ignorance.
Marie KERN le 18 octobre 2016
Oui, en effet, beaucoup de livres de littérature de jeunesse aujourd’hui confirment les propos de cet article. Cependant, je ne voudrais pas qu’on ignore des auteurs européens (par exemple Sarah Stewart et Davis Small avec « Le jardin secret de Lydia »), qui ouvrent les enfants à des univers de qualité en développant avec un art certain l’imaginaire de nos jeunes. Il est difficile de globaliser la littérature de jeunesse tant elle est diverse, mais de nombreux propos exprimés dans l’article en faveur de la poésie sont pleinement justifiés.