« Le meilleur des mondes » à portée de main? par Claude Reiss, ex directeur de recherche au CNRS

« Le Meilleur des Mondes » à portée de main ?

eugénisme

L’eugénisme nous guette.

Une fois de plus, Science sans Conscience n’est que Ruine de l’Homme

Par Claude Reiss

L’objectif statutaire d’Antidote Europe est d’identifier et de mettre en œuvre les progrès scientifiques au bénéfice de la santé humaine. Mais tout progrès n’est pas nécessairement bénéfique, loin s’en faut. Un chercheur conscient de son rôle social sait qu’il y a toujours deux catégories de personnes regardant par-dessus ses épaules, d’un côté ceux qui se demandent ce que l’on pourrait tirer de ses résultats pour le bien des semblables, de l’autre ceux qui imaginent ce qu’ils pourraient en faire à leur bénéfice personnel, en termes de richesse ou de pouvoir. Il est donc nécessaire de séparer le bon grain de l’ivraie avant que cette dernière n’aiti levé, que ceux qui veulent en tirer profit n’aient eu le temps de mettre leurs projets à exécution. Sans donner dans le catastrophisme, Antidote Europe croit utile d’informer les lecteurs de cette Notice de recherches qui ont démarrées il y a plus de 20 ans, qui ont cheminées sans bruit sur des sentiers paisibles et peu fréquentés. Elles sont arrivées aujourd’hui à un stade, totalement insoupçonné au départ, où leur impact sur la société humaine est extraordinairement prometteur et intéressant. Mais il y a aussi un côté obscure des résultats de ces recherches, qui pourraient être à l’origine de moyens de destruction massifs, infiniment moins compliqués, onéreux et contrôlables que les moyens de destruction massifs dont s’est déjà dotée l’humanité. A vous d’en juger.

            Certains se souviennent peut-être d’un film de fiction, « Bienvenu à GATTACA » (allusion aux 4 lettres A,T,G,C désignant les bases des acides nucléiques), dont l’action se passe dans un avenir lointain. La société ainsi nommée était spécialisée dans l’organisation de voyages interplanétaires, pour lesquels elle sélectionnait des personnels jugés génétiquement parfaits d’après leurs ADN. L’Etat pratiquait en effet l’eugénisme (sélection d’humains sur critères génétiques) par sélection de gamètes sans défauts, recombinés puis développés pendant 9 mois in vitro. Un homme, qui était né dans des conditions normales, ne pouvait de ce fait prétendre qu’à des emplois subalternes. Or il voulait être embauché chez GATTACA pour explorer l’Espace. N’ayant pas les critères génétiques jugés parfaits, il réussit néanmoins, à coup de manœuvres illicites, à se faire embaucher et mener à bien sa mission, comme les « parfaits ». La sélection naturelle était au moins aussi performante que la sélection sur critères scientifiques. Mais cela se passait dans un avenir lointain, d’ici là il sera temps de réfléchir à l’eugénisme. On le pratique bien un peu aujourd’hui pour produire des « lignées », de rongeurs par exemple, ou de bovins (en France, quelques centaines de taureaux pour produire de quoi inséminer quelques millions de vaches). Pour les humains, certains régimes totalitaires avaient bien tenté d’y recourir brutalement, par croisements entre individus sélectionnés pour leurs traits physiques notamment, mais sans lendemain…

            L’eugénisme humain serait donc inimaginable, si ce n’est dans un avenir lointain ? Vous avez peut-être vu dans un coin d’un journal ce mot bizarre : « CRISPR-CAS », que l’on rencontre dans la littérature scientifique spécialisée depuis une décennie. En voici, successivement, l’historique et l’état actuel de la méthode qui se cache sous ce sigle, mais aussi les perspectives qui pourraient se concrétiser à très court terme, à l’avantage de notre espèce. Ou pour son malheur ?

Un cheminement historique des plus discrets, innocents et champêtres.

            L’histoire commence il y a plus de 25 ans en Espagne, quand un jeune étudiant s’intéresse à des bactéries qui colorient en rouge ou bleu-vert les marais salants proches de la plage où il passe ses vacances. Il va examiner de plus près ces bactéries, qui vivent dans des saumures concentrées. L’outil le plus simple qu’il possédait pour ce faire est une collection d’enzymes de restriction, qui coupe l’ADN dans des séquences très précises de 4 à 8 (ou plus) bases. Il s’aperçoit que les fragments d’ADN coupés avec une enzyme de restriction donnée étaient différents en taille, pour la même espèce de bactérie mais prélevée dans des marais salants différents. En séquençant ces fragments de tailles différentes, il s’aperçoit de la présence dans, les plus grands, de courtes séquences identiques, répétées des dizaines de fois. Il les appelait CRISPR, par association des premières lettres de la version anglaise de « répétition de courtes séquence espacées régulièrement » (voir légende de la figure). Il passera plusieurs années avant de comprendre l’origine de ces répétitions, qui se révèlent finalement être de courtes séquences extraites d’un virus (appelé « phage » chez les bactéries) particulier, P1. Or certaines des bactéries qu’il étudiait étaient précisément résistantes à P1. Il en conclut que le CRISPR protège ces bactéries contre ce virus, puisque celles qui ne l’ont pas y succombent Cette sorte d’ immunité était intéressante, nouvelle et digne d’être publiée, mais il devra se battre plusieurs années pour publier son travail, la plupart des journaux contactés, pourtant prestigieux, l’ayant refusé sèchement sans même le faire examiner.

            Au début de ce siècle, dans d’autres laboratoires et sur d’autres bactéries immunisées contre d’autres virus, on trouvait aussi une (ou quelques) séquence(s) CRISPR particulière(s). Une séquence CRISPR fait donc partie de la mémoire de ces bactéries, qu’elles doivent avoir pour ne pas succomber à un de ces virus. En France notamment, un laboratoire de l’Armée cherchait et séquençait des CRISPR spécifiques de plusieurs bactéries pathogènes dont on craignait qu’elles ne soient utilisées comme arme biologique de « destruction massive » (c’était à l’époque de la guerre en Irak). Ces CRISPR pouvaient servir à identifier rapidement les bactéries pathogènes, si par hasard elles venaient à être utilisées. Une autre étude démarrait à l’Université de Strasbourg, sur une bactérie servant à la fabrication d’un plat local, la choucroute (pas sa garniture…). Elle renfermait un CRISPR. Cette étude fut poursuivie dans un laboratoire de produits alimentaires, français devenu américain ensuite, et aboutit à la découverte de l’association au CRISPR de cette bactérie d’une paire de ciseaux (appelée CAS), coupant l’ADN des virus près de l’endroit où se trouve la séquence particulière, répétée dans CRISPR (voir la figure). Cette observation était importante, car on comprenait alors comment les bactéries portant ce CRISPR se défendent contre le virus qui les agresse, en coupant simplement son génome. Cette découverte intéressait au plus haut point l’industrie laitière, car la famille des bactéries servant à faire des yogourts ou des fromages sont proches de celle de la choucroute. Or ces souches de lactobactéries étaient très fragiles à cause d’agressions virales incessantes et devaient être fréquemment renouvelées. Comme on évalue à 1031 (des dizaines de milliers de milliards de milliards de milliards) le nombre de virus sur notre planète et des milliards de milliards le nombre de bactéries, les « laitiers » devaient chercher une aiguille dans une botte de foin pour trouver une solution à leur problème. Or CRISPR était la solution : il suffisait d’exposer les lactobactéries aux virus ambiants, de prélever les quelques unes qui y survivent parce qu’elles ont un CRISPR spécifique qui les mettent à l’abri de l’attaque virale. Si virus et bactéries co-existent sur notre planète depuis au moins un milliard d’années et sont toujours là : il doit y avoir un « truc » : l’immunité contre les virus, par autant de CRISPR qu’il y a de virus. Dans près de la moitié des bactéries qui ont été séquencées jusqu’ici, on trouve un ou plusieurs CRISPR.

Une accélération brutale.

            C’est dans ce cadre que va se développer le système CRISP-CAS pour devenir un outil universel et ultra-puissant, de génétique, humaine en particulier. Tout chauvinisme mis à part, c’est encore une française, Emmanuelle Charpentier, qui initie cette séquence. Après sa formation à la microbiologie (lactobactéries) à Paris, elle choisit de s’expatrier (sans doute pour ne pas être obligée de travailler sur la souris, tradition bien française ?) à New York pour quelques années. Comme elle était intéressée par des petits acides nucléiques agissant comme régulateurs bactériens, on lui offrit de revenir en Europe, successivement à Vienne (Autriche), puis Umeá (Suède) et Berlin (à l’étranger, on sait reconnaître les talents…). Pour compléter ses analyses (par informatique) de séquences de génomes bactériens à la recherche de structures de régulation, elle s’est associée avec un laboratoire de Berlin qui avait en main les outils de séquençage rapide de l’ADN. C’est ainsi que le génome d’une bactérie déjà étudiée par Charpentier fut séquencé, révélant qu’une partie importante de son génome était faite de répétitions du genre CRISPR. Pendant ce temps, une équipe de Vilnius (Lituanie) montrait que le CAS9 de Charpentier pouvait être démonté et remonté, et qu’il avait la même qualité de « ciseaux » chez des bactéries différentes pourvu d’autres CRISPR naturels, ou des CRISPR synthétiques, de même longueur ou plus courts, portés par des ADN d’autres espèces, y compris, comme on l’observera plus tard, de plantes et de mammifères.

Etat actuel de la technique.          

            Tout était donc en place pour créer un système biologique permettant de couper à l’aide de CAS9 un quelconque génome en un endroit précis, déterminé par le choix de CRSIPR par l’expérimentateur. C’est Emmanuelle Charpentier et sa collègue Jennifer Doudna (Berkeley, USA), une spécialiste de réputation internationale de l’interaction acide nucléique – protéine, qui ont été, avec leurs collègues, les premières, en 2012, à formuler ce « système d’édition génétique » révolutionnaire (voir l’encadré et la figure)…et à le breveter. Aujourd’hui, l’ensemble CRISPR-CAS9, avec une séquence CRISPR choisie par l’expérimentateur, peut être produit, par une des entreprises spécialisées en biotechnologies, pour quelques dizaines d’euros et envoyé sous 48h par la poste (fin 2015, l’expédition de la moitié de ces kits ont été vers USA, une dizaine de % vers l’Europe, dont 2% vers la France, bien que le kit coute moins qu’une souris…). Un chercheur moyen peut mettre ce système en œuvre sur un coin de table, même dans une cuisine, enlever ou introduire dans le génome de n’importe quelle espèce du matériel génétique, ou modifier le génome, toutes ces opérations pouvant être effectuées en des endroits très précis déterminés par CRISPR. Comme l’édition d’un article par un traitement de texte sur ordinateur, l’édition génétique peut opérer sur une simple base (une lettre), un fragment de gène (quelques mots), un gène complet (une phrase) ou un fragment du génome englobant plusieurs gènes (un chapitre). On savait déjà effectuer de telles éditions génétiques depuis une trentaine d’années, mais c’était un travail de longue haleine mobilisant des dizaines de chercheur et souvent pour un résultat décevant. On se rappelle l’expérience faite à Paris pour permettre à des « enfants bulle », qui n’avaient pas de système immunitaire, de l’acquérir et de quitter les bulles dans lesquelles ils vivaient confinés. Malheureusement pour certains, la construction qui devait les guérir s’était insérée par hasard à un endroit inadéquat, rendant ces enfants cancéreux.

Réalisations.

            Cette édition génétique précise et facile a attiré une légion de chercheurs intéressés à des applications de recherche fondamentale, mais aussi à des applications à portées pratiques, thérapeutiques en particulier. Nous classons ici ces chercheurs en scientifiques « consciencieux », « mercantis » et « inconscients ». Les « consciencieux » d’abord, qui utilisent l’édition génétique au bénéfice de la santé humaine. La cible la plus facile est celle des maladies « monogéniques » impliquant un seul gène défectueux, le plus souvent transmis par les deux parents. C’est le cas par exemple de la mucoviscidose (mucus visqueux qui encombre les poumons et les intestins), l’anémie falciforme (globules rouges en forme de faucille, obstruant les veines), la myopathie de Duchenne (dégénérescence progressive des muscles). Quand un seul des parents a transmis le gène (ou un ensemble de gènes) défectueux, le plus souvent la maladie ne se manifeste pas car le brin d’ADN venant de l’autre parent prend le contrôle, sinon on peut éditer et remplacer seulement le brin défectueux. On peut aussi éditer des ensembles de séquences défectueuses, comme celles responsables de l’immunodéficience des enfants-bulle.

Du bon…

            Il y a donc d’énormes potentialités thérapeutiques concernant des problèmes de foie, reins, cerveau, sang, œil, système immunitaire, cancers, diabètes….Beaucoup de ces maladies, que l’on ne savait pas traiter avant, ont déjà été expérimentés avec succès sur des cellules humaines en culture, puis réintroduites chez les malades. On n’a cependant pas encore tenté l’édition génétique directement sur un patient, car on ne sait pas si le CRISPR choisi se limite à désigner l’endroit sélectionné pour la coupure par CAS9, alors qu’il pourrait aussi désigner à CAS9 des séquences légèrement différentes, dont la coupure risquerait de générer d’autres maladies que celle que l’on désire guérir. Mais des progrès pour éviter ces problèmes sont en route et peut-être déjà disponibles, tant ce domaine de recherche est dynamique. Les grands journaux scientifiques ont publié 20.000 articles citant CRISPR depuis 2006, dont la moitié en 2015, plus de 50 en décembre 2015 dans les seuls Nature, Science, Gene et les Compte-rendu de l’Académie US des Sciences.

…du moins bon…

Inévitablement, dans certains laboratoires des « mercantis » « se font la main » sur des animaux : mouche du vinaigre, souris, poissons-zèbre, chiens, porcs, singes. On inhibe l’un ou l’autre des gènes d’un animal pour en voir l’effet, ou on ajoute un gène (mouches fluorescentes par exemple). Pire, il y a aussi ceux qui « humanisent » des animaux en leur collant un gène humain. Par exemples des porcs « humanisés » pour fournir des « pièces de rechange » visant des xénogreffes humaines. Ces « mercantis » ignorent qu’un ou même 10 gènes humains, parmi les dizaines de milliers de gènes de l’animal, exprimés dans l’environnement biochimique propre à l’animal, n’humanise en rien ce dernier.

            CRISPR-CAS9 est évidemment du pain béni pour les industries agro-alimentaires : fabrications d’OGM à gogo, de plantes résistant aux pesticides (Monsanto, Syngenta, Bayer… sont sur le coup), expression de molécules d’intérêt pharmaceutique dans des plantes ou des animaux, ces « mercantis » ne sont limités que par leur imagination, heureusement limitée elle aussi, pour le moment dumoins. Du grain à moudre aussi pour les bio-terroristes, pouvant fabriquer des vecteurs pour anéantir des plantations, des cheptels d’animaux, et pourquoi pas des populations humaines ? Les « mercantis » se mueraient alors en « inconscients ». Comme dit plus haut, la peur des armes de destruction massive a aidé à développer le système CRISPR-CAS, qui pourrait facilement devenir lui-même une arme de destruction massive « du pauvre ». L’arroseur arrosé…

…du dangereux !

            Venons-en finalement aux « inconscients », ceux qui veulent bricoler des cellules germinales humaines pour rendre permanentes et héritables les éditions qu’ils auront pu très facilement exécuter à l’aide de CRISPR-CAS9. Leur objectif : modifier le génome du noyau de cellules reproductrices, pour transmettre sans fin l’information d’une génération à la suivante. Ils veulent se prendre pour Dieu, alors que leur savoir, même pour les plus instruits, est ridiculement microscopique, nous sommes même très loin de la compréhension complète de l’expression génétique d’une simple cellule de la levure de bière ou du boulanger, de l’interaction gène-environnement de cette cellule, etc. Ce sont des apprentis-sorciers qui vont mettre en action le fameux balai que seul « maître sorcier » (la Nature) sait commander et dominer pour faire le ménage et ranger la demeure. Même une innocente rectification, sur les cellules germinales d’un futur parent, d’un gène responsable d’une maladie chez lui, engage sur une pente glissante qui risque de déboucher sur une édition tous azimuts de cellules germinales. Le scénario de « Bienvenu à GATTAC » cité plus haut est déjà réalisable, et bientôt celui imaginé par Aldous Huxley dans « Le Meilleur des Mondes » (Brave New World, 1932, l’histoire se passe en 2540 ou 632 AF -Après Ford modèle T) : on pourra programmer, en l’an 10 ou 20 ABCD (Année Bicause Charpentier et Doudna), à volonté des lignées d’EPSILON- – (les manœuvres) et d’ALPHA+ (les élites), de mercenaires ne se posant pas de question pour défendre ces derniers ou de valets aux petits soins pour les servir… Ce serait même plus efficace que de sélectionner les gamètes, comme dans GATTACA.

            Ces manipulations par CRISPR-CAS9 de cellules germinales ne sont actuellement pas interdites dans 8 Etats sur 10, y compris aux USA et en Chine, cette dernière et le Royaume Uni viennent de les autoriser « pour la recherche ». Qui peut croire qu’on en restera là ? Le regretté Théodore Monod me disait un jour : « Pourquoi les hommes se lancent-ils dans une expérience dès qu’elle devient possible, sans examiner d’abord à fond quelles en seront les conséquences ? »

Des discussions ont eu lieu en 2015 dans les grands journaux scientifiques au sujet du risque d’eugénisme lié au système CRISPR-CAS9, une conférence s’est tenue sur ce problème à Napa (Californie) il y a un an et un colloque international s’est tenu en décembre dernier, organisé par les USA, la Chine et la Grande Bretagne (sans doute l’UE était-elle assoupie et la Commission Européenne avait-elle la tête ailleurs, trop occupée sans doute à faire allégeance et plaisir aux lobbies industriels, son impératif de tous les instants). Ces débats ont donné lieu à 3 recommandations : (i) sévèrement réprimer les essais de modifications de lignées cellulaire reproductives (ovules et spermatozoïdes), sauf autorisation spécifique après débat confrontant les opinions de toutes les parties prenantes ou concernées. Notre savoir actuel sur la génétique humaine est embryonnaire, nous ne savons pas quelles conséquences de telles manipulations auront sur la société humaine dans son ensemble ; (ii) créer un forum (sur internet par exemple) affichant les résultats de toutes les recherches d’édition génétique, en des termes compréhensibles même pour les non-spécialistes, pour permettre à chacun de se documenter, donner un avis sur ce qui est éthique ou ne l’est pas, sur les aspects sociaux, légaux et scientifiques induits par l’édition génétique ; (iii) organiser, encourager et rendre transparente les recherches sur l’édition génétique de cellules non germinales, faites au bénéfice de la santé humaine.

Ces recommandations seraient le moins, mais seront-elles respectées ? On peut en douter, le génie est sorti de la lampe trouvée par Aladin et n’y rentrera plus. Peut-être faudrait-il créer un groupe planétaire formé d’experts de l’édition génétique et de la génétique en général, de l’éthique, du droit, de membres de la communauté scientifique, d’agences gouvernementales et surtout de groupes du public intéressés, afin de recommander des règles, les faire respecter et fixer les limites à ne pas dépasser avec menace d’appliquer des sanctions sévères en cas de transgression (suspension du financement, licenciement, interdiction d’accéder à un laboratoire, de commander des produits biochimiques nécessaires à ces recherches, sanctions pénales, bannissement de la communauté scientifique…)

La confiance du public dans la science qu’il finance exige information, transparence et débats. C’est d’autant plus urgent que la science met à jour des systèmes comme celui ayant les capacités de CRISPR-CAS9.

Le présent article vise modestement, en termes simples et avec pas mal de raccourcis et d’omissions, à informer, évoquer quelques enjeux, faciliter un débat pour préparer les décisions que la société devra prendre pour fixer les limites entre ce qui est bénéfique, acceptable et ce qui ne l’est pas. Voulons-nous que nos enfants et petits-enfants vivent dans une société semblable à celle, parfaitement hiérarchisée, des abeilles ? La décision, c’est maintenant

Encadré 1

En ce qui me concerne, je n’ai évidemment jamais travaillé sur ce sujet, mais je le suis depuis un peu moins de 10 ans, quand CRISPR-CAS s’est révélée comme une super enzyme de restriction. Contrairement aux enzymes de restriction que l’on a trouvées chez les bactéries il y a un demi-siècle, qui coupent l’ADN dans des séquences précises immuables et ont fortement contribué au développement de la génétique moléculaire, CRISPR-CAS est un système de restriction dont l’utilisateur définit lui-même, par CRISPR, la séquence à couper. Cette capacité est évidemment de première importance dans le cadre du génie génétique et de ses applications thérapeutiques. Quand on a vu que CAS pouvait aussi bien couper l’ADN bactérien que l’ADN de n’importe quelle espèce, on a compris que l’on pouvait restreindre à volonté n’importe quel génome et l’éditer, avec des perspectives thérapeutiques extraordinaires. Les promesses si souvent répétées au cours des sempiternels Téléthons annuels peuvent enfin être tenues.

Encadré 2

Quelques remarques sur la recherche ayant abouti à l’édition génétique universelle. Elle n’a résulté d’aucune idée a priori, les participants ont « piloté à vue », en apprenant simplement (grâce à internet !) ce qui se faisait à côté ou à l’autre bout de la planète. Ce résultat fut acquis par de jeunes chercheurs sans beaucoup d’argent, mais qui ont pris des risques, à l’opposé de plus séniors, grisonnants. Beaucoup ont dû se battre pendant des mois et des années pour pouvoir publier leurs résultats, souvent dans des journaux de seconde zone après refus par des plus connus (ou siègent des séniors…). Les pierres apportées par chacun de ces jeunes chercheurs ont permis de construire le système CRISPR-CAS9, mais seuls quelques-uns, qui sont montés sur les épaules des autres et ont repris ou fait la synthèse de leurs travaux, en seront crédités. C’est une constante dans la recherche actuelle, où un résultat important sera attribué à un ou deux chercheurs, qui ont synthétisé les résultats de 36 autres que l’histoire ne retiendra pas. Comment marquer la valeur de ce travail, faut-il distinguer tous les acteurs, ou personne ? Cette dernière alternative semble la meilleure, à observer l’intense et bruyante foire d’empoigne qui se déroule actuellement autour des brevets couvrant CRISPR-CAS9. Mais elle est incompatible avec les égos, ambitions, appétits financiers des chercheurs concernés… Ainsi va le (meilleur des) monde(s).

Encadré 3

L’ADN CRISPR* est associé à des gènes de nucléases « CAS » (Crispr ASsociated). Chacune des séquences répétées de CRISPR, longue d’une vingtaine de bases, est la séquence cible de la coupure requise pour l’édition génétique. CRISPR contient aussi une courte séquence  « guide» lui permettant de s’associer à CAS et l’activer. Cette dernière n’accepte de couper la cible portée par CRISPR que si elle est munie, immédiatement en amont, de trois bases (« PAM ») spécifiques du microorganisme (NGG pour le CAS9 prélevé sur la bactérie S. pyogenes, la plus utilisée). Une fois transcrit en ARN, CRISPR est coupé en séquences cibles individuelles dont chacune forme un complexe avec CAS9. Ce dernier change de structure, le complexe se transforme pour permettre à CAS9 de se lier à l’ADN que l’on veut éditer, tout en exposant la séquence cible ARN. Sur la gauche de la figure : le complexe commence à explorer cet ADN jusqu’à ce qu’il ait trouvé la séquence PAM, s’assurer que la séquence ADN à couper est bien présente à côté, appairer son ARN cible avec le complément ADN et couper ce dernier. Les séquences du processus vont successivement de la droite vers la gauche avant l’ouverture de la séquence à couper, de gauche vers la droite ensuite. Sur la droite de la figure : un schéma du complexe CRISPR-CAS9 sur le point de couper la double-hélice d’ADN cible.

*) CRISPR : Clustered Regularly Spaced Interspaced Short Palindromic Repeats

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Marie Kern

Marie Kern - Blogueuse, auteur, accompagnement littéraire d'artistes (peintres ...), rédactrice web (article, contenu rédactionnel, ré-écriture de pages web).

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