Le dernier qui s’en va éteint la lumière: variation sur le thème de la finance

Le dernier qui s’en va éteint la lumière : une variation sur le thème de la finance.

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Bien que je n’ai pas été emballée par le livre de Paul Jorion, trop verbeux, trop poussif parfois aussi, il n’en reste pas moins que certaines idées sont intéressantes, notamment celles concernant la finance c’est à dire un bon tiers du livre.

Le reste, ce qui concerne le psychisme de l’humain, cela ne m’a pas convaincu. En gros, en très gros, Jorion développe l’idée qu’après nous le déluge puisqu’au paradis des crétins nous serons les rois de l’éternité ! J’ai volontairement choisi d’éluder cette partie dans mon commentaire, je ne suis aucunement sensible à cette idée. Le débat très pesant autour de Nietzsche et Socrate, la question de la raison comme une pure invention, l’obsession subliminale de la copulation, l’influence de la consommation des fèves sur le jugement du fait des flatulences qu’elles induisent selon les très sérieux pythagoriciens, ou encore le deuil pathologique basculant dans la tragédie ne m’ont pas intéressée du tout, je laisse au « gourmand » de fèves ou autre le soin d’aller chercher plus loin si le cœur lui en dit, pour ma part, je me bornerai à travailler sur le seul point parfaitement concret qui soit proposé dans ce livre à savoir la finance et son influence sur le très gros risque d’extinction de notre humanité.

Je me propose donc d’exposer les idées les plus importantes à savoir quel type d’économie vivons-nous et quels sont les moyens mis en œuvre pour la soutenir.

Tout le monde sait que notre économie est capitaliste, ultralibérale et de marché. Mais à quoi cela correspond-il vraiment ?

Citons Jorion :

«  Notre économie est « capitaliste » dans la mesure où le capital est l’une des avances nécessaires dans tout processus de production (…) »[1]

Autrement dit notre système économique est fondé sur l’investissement d’un capital sans lequel rien ne peut se faire, il est fondé sur le capital d’où son nom de capitaliste.

« Notre économie est par ailleurs « de marché » dans la mesure où la distribution s’y opère sur des marchés et où les capitaux et leur rémunération s’échangent eux aussi sur un marché : le marché dit « des capitaux ».[2]

Ceci facilitant le système de la spéculation (c’est à dire les paris à la hausse ou à la baisse sur les variations de prix des instruments financiers) qui va jusqu’à ponctionner parfois une part considérable de toute richesse nouvellement créée.

« Notre économie est enfin « libérale » dans la mesure où y est posée la question d’un juste équilibre entre la liberté de l’individu et les prérogatives de l’Etat (…) voire « ultralibérale » lorsqu’une réponse à cette question par ailleurs légitime a été apportée d’autorité (…) »[3] par une aristocratie de l’argent qui oblige, dans ce cas, l’Etat à n’assurer qu’un rôle de concurrence ce qui lui permet d’accéder au pouvoir et d’y imposer la loi du plus riche.

Ces principes posés, Jorion expose quels sont les moyens dont l’économie capitaliste ultralibérale et de marché dispose pour alimenter son fonctionnement.

Tout d’abord il faut prendre le problème en son cœur même si de cœur, ce système économique n’en a pas, c’est même sur cette totale absence de cœur entendez d’amour du prochain que ce système repose. Et non seulement cet amour du prochain, ce cœur battant pour la vie, est absent mais il est considéré comme LE premier obstacle à éliminer totalement, absolument, résolument.

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Une société capitaliste ultralibérale et de marché est une société où les humains sont considérés comme des homo eoconomicus « qui visent à maximiser leur utilité personnelle par des choix rationnels entre des ressources rares. »[4]

Autrement dit il n’est absolument pas question d’amour du prochain ni d’une quelconque compassion, il est question de profit pur et dur d’où la création d’une société à son image addicte du culte de soi et entièrement dévouée au court-termisme c’est à dire à la consommation maximale responsable de la destruction de la planète. Et puis cela induit également une désolidarisation des individus, principe essentiel pour la maitrise d’humains soumis à leur propre culte. Jorion explique :

« Quand chacun exerce sa liberté (…) les rapports de force existants sont tout simplement démultipliés, et la domination exercée par une aristocratie fondée sur l’argent est non seulement automatiquement entérinée, mais se transforme en deuxième nature dont les leviers deviennent invisibles. »[5]

On comprend mieux le culte de soi prôné par les publicités diverses, le fameux « be yourself » et tous les délires de personnalité qui vont avec, dans une société du chacun pour soi et j’emmerde les autres, l’aristocratie solidaire de l’argent est reine en ce que personne ne se préoccupe de venir la déloger.

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Voilà pour la partie morale de l’histoire, maintenant occupons-nous des tactiques financières, comptables et même langagières qui permettent la légitimation de cette élite de l’argent.

Légitimation langagière : on parle de coût de la main d’œuvre et de gain du patron. C’est faux, en réalité. Car le patron ne fait rien et c’est lui qui coûte et bien plus que ses salariés à son entreprise ! Cependant cette dénomination langagière est bien là, comme une forme de culpabilité, une mise en scène de la relation que souhaite établir cette économie fondée sur l’esclavagisme camouflé en bonheur du jour, en crédits à gogo et en haine de celui qui a plus que soi, enfin qui paraît avoir plus.

Les tactiques comptables : Il faut savoir que les règles de la comptabilité sont aujourd’hui internationalisées et privatisées ainsi non seulement les firmes elles-mêmes déterminent ce que sera le contenu de ces règles mais cela leur permet également de pourvoir à l’essentiel du financement de l’IASB à savoir l’International Accounting Standart Board c’est à dire l’organisme en charge de la rédaction des règles comptables.

En gros, les firmes font la loi concernant la manière dont elles gèrent leur propre finance. C’est le far-west de la comptabilité ! Et personne ne va les contrarier !

Liaisons dangereuses entre finance, économie et politique : L’exemple le plus flagrant des liens établis entre finance et économie est bien sûr la spéculation, véritable pont entre ces 2 mondes qui inter agissent l’un sur l’autre par le biais de paris et de gains, ou de perte, ce qui peut conduire à la mort d’un treader, d’une banque ou même d’un pays. Ce qui peut conduire aussi à l’explosion de fortunes colossales qui, bien que minoritaires, jouent le rôle de décideurs et de pouvoir. Aujourd’hui ce sont les firmes et les banques qui décident de l’avenir de la planète, pas les citoyens et presque plus les politiques.

Car il y a en plus ce désastre sans nom qui autorise les firmes à subventionner les partis politiques (aux Etats-Unis et d’après un décret de janvier 2010) ce qui constitue la base d’une démocratie enchainée à l’argent. Et comme l’Europe est le bon toutou des USA, il n’est même pas à parier que ce mode d’action ne gangrène ce vieux continent soumis au TAFTA et autres impératifs économiques, c’est déjà fait et cela risque d’empirer si nous ne sortons pas de ce système économique qui ne permet ni la raison du juste ni la décroissance nécessaire pour calmer le jeu du désastre environnemental qui est en train de se jouer.

Toutes les illustrations sont de Steve Cutts

Toutes les illustrations sont de Steve Cutts

Il va de soi que la concentration des richesses et du pouvoir se fait naturellement par cette voie et que les délits financiers se trouvent légitimés par une société serrée comme un étau puissant sur cette main invisible de l’argent.

Jusque là tout va bien et Jorion suit un argumentaire prouvant que l’extinction de l’humanité est la suite logique de cette économie délirante et pourtant justifiée. C’est tout à fait crédible, c’est même évident.

Après, dans la seconde partie du livre, cela se distille complètement, c’est même dichotomique ! J’ai dit que je n’en parlerai pas, je ne ferai que survoler une partie verbeuse, poussive voir confuse où Jorion déballe un vrai savoir mais pas forcément une conviction ou plus exactement un argumentaire capable de séduire le lecteur.

Que nous ne soyons pas outillés pour lutter contre l’extinction de l’humanité -thèse qu’il tente de démontrer à grands coups de citations nietzschéennes ou socratiques- car nous ne pensons qu’à nous, car nous sommes des êtres tragiques dont la peur de la mort pousse au désespoir et à l’invention ou pas d’une religion capable de nous offrir le paradis « après », c’est un avis très personnel qui n’a aucun rapport avec le très concret argumentaire financier.

Et puis réellement je ne crois pas que l’humain ait envie de détruire le monde, je crois que c’est une idée que l’on a mis dans la tête des hommes car cela fonctionne à merveille avec l’état d’esprit de notre économie. Et quels sont les parents qui désirent vivre et laisser crever leurs enfants après, sans oxygène, dans un monde pourri par les pesticides, les engrais et j’en passe. Quels sont les tarés qui veulent foutre le feu à la maison et laisser brûler le bébé dedans ? Certes il y en a certainement mais ce n’est pas la majorité.

J’ai du mal à croire et pourtant je suis lucide, que l’humain a délibérément choisi de tout foutre en l’air car il est un être tragique, qui a peur de la mort et se fout de son prochain en mangeant des fèves ce qui obstrue son jugement ! Je le crois plus naïf que cela et capable de suivre l’idéologie dominante qui lui dit que c’est la seule solution pour vivre bien et puis que c’est fichu de toute façon comme ça il ne luttera pas, il sera, d’emblée, soumis à sa propre fin.

Alors je m’interroge, ce livre est-il un outil pour réagir ou au contraire le testament d’une économie mourante qui tente de relever l’ultime défi de légitimer sa propre perversité ?

Puisque de toute façon l’humain est ainsi, l’économie capitaliste, ultralibérale et de marché se trouve justifiée.

Jorion nous laisse sur notre fin et c’est le cas de le dire, il nous place devant le tombeau et ce n’est pas une solution. Je lui préfère et de loin le livre de Cyril Dion Demain, je lui préfère toutes ces actions indépendantes qui font que les humains veulent réagir, je lui préfère le manifeste des Faiseux d’Alexandre Jardin, manifeste dédié à ceux qui agissent, qui trouvent des solutions, je lui préfère enfin la vie qui est là et qui le restera si cette économie se détruit  elle-même, comme l’Ouroboros, quand les prises avec l’extérieur auront véritablement lâché.

Jorion dit « Mon objectif, ici, n’est pas de convaincre que le genre humain est menacé d’extinction : je considère la chose comme acquise »[6]

Je lui réponds que peut-être et certainement même, mais nul n’est prophète en son temps et l’avenir dira si l’Histoire a pu ou non tourner la page de cette situation économique qui est une véritable 3ème guerre mondiale dont le remède n’est autre que le sursaut d’orgueil et d’Humanité.

Marie Kern, 25 avril 2016

[1] Le dernier qui s’en va éteint la lumière de Paul Jorion, Fayard, page 79

[2] Idem page 79

[3] Idem page 79 /80

[4] Idem page 101

[5] Idem page 51

[6] Idem page 47

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Marie Kern

Marie Kern - Blogueuse, auteur, accompagnement littéraire d'artistes (peintres ...), rédactrice web (article, contenu rédactionnel, ré-écriture de pages web).

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