Partager la publication "Un désert dans le ciel par Olivier Reisinger, naturaliste"
Un désert dans le ciel?
Non, je ne vais pas vous parler de la planète Mars, mais de notre « bonne vieille Terre ». En 2014, Ecology Letters publie une étude sur le recul historique et sans précédent de l’avifaune européenne. En trente ans, ce sont 421 millions d’oiseaux en moins pour « peupler » notre ciel. Les espèces communes sont les plus touchées, et 36 d’entre-elles ont perdu 90 % de leur effectif. Les auteurs montrent que la grande majorité de la population ornithologique, en nombre d’individus et en biomasse (masse corporelle), est constituée d’un nombre relativement restreint d’espèces communes, le reste de l’avifaune étant constitué d’un nombre plus important (en espèces) d’espèces rares mais aux effectifs faibles. Les programmes de conservation ont, en toute logique semble-t-il, mis le paquet sur les actions en faveur des espèces rares. Les auteurs écrivent qu’il est temps de changer de politique car les espèces communes ont été négligées de façon « troublante », elles sont pourtant essentielles au maintient des écosystèmes. Leur rôle écologique est indispensable pour la dissémination des graines, la régulation des populations d’insectes, et même pour la pollinisation. Protéger des espèces rares est indispensable, et sans ces programmes, nombre d’entre elles auraient déjà disparu, mais à terme, c’est une impasse si nous ne prêtons pas plus d’attention aux espèces encore communes dont la forte régression annonce la dislocation de nombreux écosystèmes.
C’est bien là que le bât blesse, car les faits montrent que nos sociétés n’ont toujours pas intégré la crise écologique et sa dimension historique pour notre espèce. La protection de la nature et de ses écosystèmes passe toujours en queue de cortège dans les préoccupations de nos contemporains, et les différents ministres et présidents nous montrent tous les jours qu’ils ne s’en préoccupent pas du tout. La protection des milieux naturels et semi-naturels, dans les textes, n’est souvent que vœux et « incitations » à ne pas nuire, à prendre en compte, mais cela ne pèse guère face aux « impératifs » économiques et, jusqu’à une certaine époque, sociaux. Alors que nous ne pouvons, ils ne peuvent pas, ne pas savoir que l’effondrement écologique entraînera aussi un effondrement général économique, social et civilisationnel. A terme, c’est de l’effondrement de notre espèce dont il s’agit. Mais la dictature du court terme politique et économique nous fige dans l’inaction, le business as usual, jusqu’à franchir toutes les étapes de l’irréversible.
Voyez où nous mène un article qui, au départ, parle d’oiseaux, et c’est logique, après tout, car préserver l’environnement et la nature, ce n’est pas qu’une question d’environnement et de nature, c’est avant tout une question anthropologique. Même notre société « hyper-artificialisée » dépend des autres espèces, de l’équilibre physico-chimique de la planète et de notre intégration dans l’écosystème général pour pouvoir simplement vivre, se nourrir, respirer. Du phytoplancton à la vie microbiologique du sol en passant par notre propre flore intestinale, même les êtres considérés probablement à tord comme les plus « modestes », les bactéries, nous sont indispensables. Une planète sans vie sera une planète sans nous.
Avril 2016, ça recommence, mais cette fois-ci à propos d’un taxon qui m’intéresse particulièrement, les libellules (Odonates). La « Liste rouge des espèces menacées en France » (métropolitaine) est coordonnée et publiée par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la Nature), le MNHN (Muséum national d’Histoire naturelle), l’OPIE (Office pour les insectes et leur environnement) et la SFO (Société française d’odonatologie). Onze espèces sont menacées de disparition et deux ont déjà disparu.
Le même schéma revient. Comme si les bouleversements climatiques en cours ne suffisaient pas, oiseaux et libellules sont victimes de la gestion calamiteuse des territoires, des eaux, des ressources et de l’environnement global. Les pratiques agricoles intensives, l’artificialisation des sols, la régression sans fin des zones humides malgré une convention internationale de conservation des zones humides signée à Ramsar (Iran) en 1971 et applicable depuis 1975… Et, au bout de quarante ans, on voit bien que le problème demeure.
Les habitats régressent, se fragmentent et se morcellent en petits morceaux trop isolés les uns des autres alors que la vie a besoin de continuités écologiques. Les villes mêmes, où pourtant certaines espèces comme le Martinet noir ont réussi à s’adapter, voient les cavités indispensables à leur reproduction disparaître. Les murs « s’enlissent » et manquent de trous, la boue pour construire les nids d’hirondelles se fait rare ! Et l’usage de produits biocides (pesticides) prive nombre d’espèces de précieuses proies. L’échec annoncé du plan Ecophyto de réduction par deux en 2018 des quantités employées n’augure rien de bon à court terme sur cette question dans notre pays.
Et les haies dont des territoires entiers sont privés, autant d’abris, de sites de nidification, de nourriture en hiver (baies) et de réserves de graines en moins. Par-delà notre sub-continent, le changement des pratiques agricoles et d’occupation du sol (aussi!) en Afrique inquiète certains ornithologues sur l’hospitalité des sites d’hivernage de nombreuses espèces migratrices européennes. Où que l’on porte le regard, la « machine à broyer », d’une manière ou d’une autre, semble n’être jamais bien loin, et la dynamique est très forte. Une petite requête genre « taux d’extinction » ou « sixième extinction des espèces » dans votre moteur de recherche favori, dont le nom ne commence pas forcément par un « G », vous montrera que nous vivons en pleine tempête écologique.
Alors, ma conviction dans tout ça, en tant que simple citoyen-naturaliste, est que, comme je l’ai déjà évoqué, le problème est anthropologique. Qu’avons-nous fais à nous mêmes pour, connaissant pourtant l’issue délétère inévitable de nos trajectoires socio-économico-écologico-énergétiques actuelles, nous laisser dériver inexorablement vers le pire sans réagir ? Quelles illusions nous égarent ? Quelle glue nous fige ? L’ignorance ? La cupidité ? Pourquoi « ne croyons nous pas ce que nous savons » ? Sommes-nous victimes d’une impasse cognitive, une terrible faille dans notre cerveau, qui nous empêcherait d’imaginer que nous puissions vraiment épuiser les ressources d’un monde entier, et que cet incroyable fait biologique soit en train d’arriver à nous, ici et maintenant ? J’avoue que mes idées se bousculent tant les enjeux actuels sont lourds, mais c’est pour l’instant la seule explication logique que je trouve actuellement.
Chaque matin, l’eau coule du robinet, j’appuie sur un bouton, « lumière », un autre bouton, « café », j’ai le chauffage l’hiver (même effort) et l’eau chaude pour la douche, je mange à ma faim, une vraie utopie pour nombre de nos semblables d’aujourd’hui et d’hier. Combien d’entre-nous ont encore l’illusion que « ça continue comme avant », même avec de sérieuses dératées (crise économique éternelle, terrorisme …) ? Le jour où nous verrons « vraiment » le nez de la crise écologique, ne sera-t-il pas trop tard pour courir ?
L’évolution ne nous a pas doté d’un « sens des limites » qui nous serait si précieux aujourd’hui ! Nous manquons cruellement de capacité d’inhibition. En fait, je pense que notre cerveau est parfaitement adapté au néolithique, c’est à dire hier (il y a 10 000 ans) par rapport à l’âge de l’Humanité (deux millions d’années si on « démarre » l’Humanité avec Homo erectus). Jusque-là, nous n’avions pas besoin de la nécessité de limiter notre développement. Notre espèce, d’après mes lectures sur le sujet, a longtemps été composée de quelques dizaines de milliers de personnes, et sa force de frappe technologique n’avait en rien la capacité de destruction des milieux actuelle, même si l’impact anthopologique sur la nature est beaucoup plus ancien que l’ère industrielle.
Mais depuis une étape a tout de même été franchie et nous sommes là, dotés de super-pouvoirs technologiques, sans doute ivres de notre jeune toute-puissance, mais apparemment sans les outils cognitifs aptes à les réfréner dont l’évolution n’a pas eu le temps de nous doter. Nous sommes comme des enfants de quelques années découvrant un barril de poudre et des alumettes.
Bibliographie : « Common European birds are declining rapidly while less abundant species’ numbers are rising », INGER Richard et Al., Ecology Letters, 2014 ; « La liste rouge des espèces menacées en France – Châpitre libellules de France métropolitaine », UICN France, MNHN, OPIE &t SFO, Paris, 2016.
Olivier Reisinger, Technicien en Gestion et Protection de la Nature, 3 avril 2016
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